Dans un contexte de fluctuation des prix des intrants et d’une demande croissante en produits à base de lait de chèvre issus de pratiques respectueuses de l’environnement et des animaux, le pâturage peut retrouver une place plus importante dans l’alimentation des chèvres laitières. Cependant, contrairement au bâtiment où la ration peut être maîtrisée en qualité et en quantité, il est difficile d’estimer les apports nutritifs des chèvres au pâturage et ainsi de bien gérer l’alimentation. En effet, les pratiques de gestion du pâturage par les éleveurs ont des effets directs sur l’ingestion d’herbe et donc sur la production laitière des chèvres. L’étude de la littérature montre que les connaissances sur la régulation de l’ingestion et la valorisation de l’herbe par les chèvres laitières au pâturage dans les conditions des prairies du Grand Ouest français sont très limitées.
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Le programme de recherche mis en place a donc visé à la fois à développer des méthodes fiables d’estimation de l’ingestion individuelle des chèvres au pâturage et à quantifier les effets de la disponibilité en herbe (hauteur d’herbe, surface offerte, quantité d’herbe offerte) sur l’ingestion d’herbe, le comportement alimentaire et la production de lait. Ces travaux ont été menés de manière complémentaire au projet casdar CapHerb dans lequel nous avons développé les méthodes d’estimation du temps de pâturage journalier grâce au Lifecorder Plus et les effets du temps d’accès journalier au pâturage.
Résultats
Les méthodes d’estimation de l’ingestion ont été calibrées et validées au cours de 6 essais chez des chèvres nourries à l’auge, en pesant les quantités ingérées et les quantités excrétées. La méthode la plus précise est très satisfaisante, non biaisée, avec une erreur moyenne de prévision de 11 % seulement à l’échelle individuelle et sur une semaine. Elle consiste à déterminer 1) la quantité de fèces, grâce à la distribution journalière d’un marqueur externe et à des prélèvements réguliers de fèces et 2) la digestibilité du régime, estimée par régression à partir de la concentration fécale en azote et en fibres. La valeur énergétique (digestibilité in vivo) des rations à base d’herbe est donc également estimée. Le comportement d’ingestion (durée totale et répartition des activités au cours de la journée) est mesuré très précisément grâce au Lifecorder, avec une erreur moyenne journalière de seulement 5 % à l’échelle individuelle.
Les essais réalisés au pâturage (INRAE, Bretagne et Nouvelle-Aquitaine) ont eu pour objectif d’établir les lois de réponse des chèvres aux pratiques de gestion du pâturage, afin d’élaborer les bases d’un modèle de prévision de l’ingestion et d’affiner les recommandations aux éleveurs. Les études ont toutes été réalisées au printemps (avril à juin), sur des prairies temporaires multispécifiques de qualité, sans aucune complémentation fourragère à l’auge. Au total, environ 400 mesures individuelles hebdomadaires d’ingestion ont été réalisées au pâturage. Les hauteurs d’herbe moyennes (herbomètre à plateau) étaient de 16 cm et de 6 cm respectivement en entrée et en sortie de parcelle, avec 2,4 kg de matière sèche (MS) d’herbe offerte par chèvre par jour au-dessus de 4 cm et un temps d’accès moyen de 9 h/jour au pâturage.
Dans ces conditions, les chèvres Alpine (poids vif : 50 kg, production laitière : -3,3 kg/jour) ont ingéré en moyenne 1,8 kg de MS/jour d’herbe pour 0,7 kg de MS de compléments (concentrés + déshydratés), soit 2,5 kg de MS totale/jour et un niveau d’ingestion très élevé de 5 % du poids vif. Elles ont pâturé 7 h/jour, soit près de 80% du temps disponible, avec une vitesse d’ingestion moyenne de 250 g de MS d’herbe par heure.
Les études factorielles ont montré que les chèvres recevant seulement 0,6 kg de concentrés par jour, sans fourrage distribué au bâtiment, et avec un temps d’accès au pâturage d’au moins 11 h/jour (jour + soir), pouvaient s’adapter à une restriction de quantité d’herbe offerte jusqu’à 2,5 kg MS/chèvre/jour sans réduction de l’ingestion journalière. Offrir davantage conduit à sous-valoriser l’herbe produite (refus importants). Offrir moins réduit l’ingestion et donc la production laitière. Ces lois restent à affiner selon les doses de complémentation apportées, la hauteur de l’herbe et la composition des prairies.
Nous avons également montré que des chèvres recevant entre 0,6 et 1,0 kg/jour de compléments peuvent s’adapter, après une période d’apprentissage, à une réduction de temps d’accès au pâturage de 11 h à 6-7 h/jour, en augmentant leur vitesse d’ingestion d’herbe et surtout le pourcentage du temps passé à pâturer, jusqu’à 95 % du temps d’accès. La comparaison de l’ingestion entre chèvres montre que le poids vif et la production laitière sont des variables déterminantes de la quantité d’herbe ingérée alors que la parité et le stade de lactation n’auraient que peu d’effet sur l’ingestion si l’on tient compte du poids et de la production. Conclusions
Ces travaux, totalement nouveaux chez la chèvre laitière, ont donc permis d’établir les premières lois de réponse d’ingestion, de production laitière et d’adaptation comportementale des chèvres laitières à des variations de temps d’accès et de quantité d’herbe offerte au pâturage. Ils serviront de base au futur module « Pâturage » du logiciel de calcul de ration des chèvres au pâturage (INRAtion/Ruminal). Nous pouvons conclure de ces études qu’il faut faire confiance dans la grande capacité des chèvres à pâturer efficacement des prairies multispécifiques dans le contexte du Grand Ouest. Rapporté à leur poids vif et au temps disponible au pâturage, les chèvres laitières ingèrent plus, plus vite et plus longtemps que les vaches laitières, ne fatiguent pas en cours de journée, et ont montré une capacité d’adaptation aux variations de pratiques de gestion du pâturage égale ou supérieure à celle des vaches.
Pour aller plus loin …
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